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30 août 2013 5 30 /08 /août /2013 10:30

La "place du patient" est un thème d'actualité, dans un débat amené par les associations de patients depuis 15 ans qui a vu son point d'orgue avec la reconnaissance des droits des patients par la loi Kouchner de 2002. Depuis, les termes du débat ont évolué ... comment qualifier la place du patient 2013 : bonne, centrale, éclairée ... La réflexion de l'auteur publiée dans le HUFF POST du 26 juillet 2013, nous amène sur un autre terrain, celle de la liberté dans la relation du point de vue du patient ... AAM

Par Benjamin Pitcho Avocat à la Cour, maître de conférences en Droit privé

Dans une précédente chronique, nous évoquions les abus du langage de la scène pour désigner la relation de soins contemporaine. Le patient y est en effet qualifié d'acteur tandis que les associations d'usagers permettent d'organiser une représentation de ces derniers, qui sont rendus vulnérables lors de l'acte médical. Ce faisant, nous avons proposé une nouvelle lecture de cette relation, permettant de mieux qualifier les personnes bénéficiant de la prestation de soins. Or, il faut l'avouer, cette démarche est un échec.

Dépasser le patient acteur

En effet il n'existe pas, à notre connaissance, de mot permettant à la fois de désigner ces individus, caractériser leur rôle actif, reconnaître leurs droits, ou encore démontrer leur vulnérabilité, mais sans s'y attarder, etc. Ni le malade, ni le patient, ni l'usager et certainement pas l'acteur n'y parviennent. Il serait alors possible de s'interroger sur une telle absence: c'est grave docteur? Nous pensons l'inverse et, devant notre échec antérieur, nous proposons de nous en remettre à l'ancienne sagesse et ainsi utiliser le vocabulaire le plus banal qui puisse être: le malade est une personne. La simplicité de ce vocabulaire permet de révéler, par delà son apparente banalité, la multiplicité de l'humain et l'irréductibilité de son altérité. Généraliser cette dénomination entraîne de plus trois avantages principaux. En premier lieu, le malade n'est pas réduit à son état. Traiter une personne de malade - ou pour certaines pathologies neuro-dégénératives, de dément- procède d'un glissement dans l'appréhension qui en est faite, pour ne finir par voir en lui que la pathologie. Le malade est de surcroît, dans sa souffrance, dans un nécessaire état de vulnérabilité. Nul, sauf les médecins précisément, ne peut y changer quoi que ce soit. Il nous appartient cependant, comme une obligation, de continuer à voir en lui une personne et nous forcer à nous élever à sa constante reconnaissance. En faire fi, c'est risquer de faire d'un état de santé asymétrique une domination inadéquate. Le recours systématique au terme de personne permet, à l'image des théories de Levinas, de forcer notre reconnaissance de l'autrui malgré son état éventuel de dépendance physique, psychique ou même cognitif face au savoir du soignant. La personne ne contient cependant pas directement de référence à la vocation active du malade. Elle ne l'exclut toutefois pas. Si le terme de patient est pour sa part en voie d'abandon, c'est bien qu'il inclut une passivité qui ne reflète nullement les évolutions législatives. À l'heure de la démocratie sanitaire, à l'aide des associations d'usagers, à l'époque du web 2.0, le malade ne peut plus être considéré comme un simple individu passif. Le patient modèle, docile et soumis au sachant, représente l'archétype de la figure honnie et réprouvée du paternalisme médical. Et pourtant...

Offrir l'abandon (de soi)

Il pourrait être intéressant de laisser les malades qui souhaitent s'abandonner dans les mains des soignants la possibilité de le faire. Tous n'ont pas vocation à être acteurs. Il serait même possible d'affirmer que l'un des paroxysmes de la relation de soins représente une confiance aveugle d'un malade en un professionnel bienfaisant. Nul abus d'un "pouvoir médical" ici, non plus que volonté de toute puissance, mais une capacité au contraire à prendre en charge l'abandon volontaire du malade, quelles qu'en soient les causes, dans une modestie avouée, reconnue et in fine, très humaine. Il semble pourtant que le législateur n'imagine plus dans les malades que des individus surinvestis dans leur santé. Le modèle est à n'en pas douter louable, mais il ne répond ni à la réalité ni à un objectif souhaitable. Il est abusif d'attendre un tel rôle de la part de tous les malades. Tous n'ont pas la volonté, ni l'envie et parfois même pas les moyens matériels pour s'investir ainsi. Il convient de veiller à ne pas remplacer le patient docile par un nouveau "super héros", conquérant et triomphateur de la lutte contre sa maladie. Souvenons-nous en effet de ces campagnes rappelant les millions de "héros ordinaires" ayant vaillamment combattu leur maladie. Quid des autres? Ceux qui ont renoncé? Ceux qui ont perdu? Ceux qui ne souhaitent pas ou plus se battre? Ceux qui ne peuvent pas ou plus le faire? Doit-on les tenir exclus de notre représentation, alors que le combat mené contre la maladie, et contre la mort, est par principe illusoire ?

La nécessaire reconnaissance de la personne

Figer les patients comme des acteurs surinvestis n'est pas leur rendre service. C'est trier les bons acteurs et rejeter les mauvais malades, dans une sorte de casting -encore le théâtre- morbide qui ne peut qu'entraîner frustration et exclusion des plus vulnérables. Sans compter les dangers qui guettent ceux-là, du déremboursement en cas de défaut d'observance à l'absence de prise en charge si leur maladie est rétive aux soins et protocoles dessinés pour eux. Est-ce là le modèle qui doit être perpétué? Au regard des contraintes économiques du système de santé, comme de l'amélioration des conditions de prise en charge de certaines pathologies, il est aisé de constater que certaines maladies autrefois mortelles à court terme se sont chronicisées. Maintenir son emploi, poursuivre une vie sociale, préserver une vie familiale et une intimité quand la médicalisation de sa vie et parfois de son domicile prend une place disproportionnée, est une gageure extraordinaire. N'exigeons donc pas de ces personnes qu'elles soient davantage des héros tant elles doivent déjà l'être pour pallier les insuffisances de nos lois, de l'information diffusée comme de l'organisation du système de santé. Dans toute personne existe nécessairement une vulnérabilité, des souffrances, des frustrations et des pulsions. Une histoire et un avenir, aussi réduits fussent-ils. Chacun porte de même des velléités de défendre des valeurs et des croyances, comme de se défendre ou, à un moment, de s'abandonner. Là réside son authentique liberté, dont nous ne devons jamais la priver. Tâchons activement de reconnaître ce droit à toute personne, qu'elle soit un malade, un patient, un acteur ou un usager. Et ne craignons pas l'emphase du poète pour le faire: "Liberté, j'écris ton nom".

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