Un point de vue inhabituel dans un style enlevé qui nous enchante, voilà un texte emprunté au HUFF POST Publication du 24 juillet 2013 qui tente de répondre à cette question essentielle ... du côté du médecin. Est-ce que nos malades pourront commenter de leur côté . ... AAM
Par Dr. B Médecin, animateur du blog "Alors voila"
Alors voilà, l'autre nuit, je marchais au bord de l'eau, abandonné à cette seule vraie liberté qu'est le vagabondage, quand je me suis posé une question : Pourquoi existe-t-il un clivage entre les soignants et les soignés? Je n'ai pas la prétention de détenir de vérité universelle. Juste trois idées très personnelles :
Il aura beau s'habiller en blanc et être aussi charmant que Georges Clooney, un porteur de mauvaises nouvelles reste et restera toujours un porteur de mauvaises nouvelles. On a rarement envie d'aller payer un coup à l'homme qui vous annonce que Maman va mourir dans d'atroces souffrances (sauf si Maman est riche et s'appelle Folcoche...).
Il existe la même proportion d'imbéciles dans la population médicale/para-médicale que dans la population générale. Parfois, les patients tirent le mauvais numéro.
Prenons Spiderman (quelle entrée en matière!): il s'agit d'un jeune homme piqué par une araignée radioactive grâce à laquelle il développe différents supers-pouvoirs. La phrase qui revient dans chaque bande dessinée de Spiderman est la suivante: "Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités." Y a-t-il un grand pouvoir à exercer notre profession? Je le pense. Il y a donc de grandes contreparties: les responsabilités de Spiderman.
Nous frayons avec la peur, la douleur, la mort. Nous sommes en première ligne. Nous traitons avec l'animalité humaine, les actions et les sentiments primaires. Je voudrais évoquer les familles de nos malades. Même l'homme le plus érudit, avec les meilleures manières du monde, se transforme en bête quand la personne qu'il aime a mal. Peu lui importe que l'équipe soignante fasse son maximum, peu lui importe que l'infirmière ne soit pas un punching-ball ou que le médecin soit, sous toutes les couches de savoir agglomérées pendant ses études, un petit garçon terrifié. Il frappe, se débat, se démène. Et parfois, malgré les efforts désespérés de tous, il perd sa bienveillance pour les soignants. Et, là, ça devient compliqué, parce qu'il y a clivage.
Alors que l'équipe soignante revêt son armure préférée, celle avec les coudières blanches et les grosses coques d'épaule, celle qui atténue la douleur, celle qui te fait revenir au boulot le lendemain, parce qu'il y aura d'autres personnes à aider, à sauver, l'homme s'enfonce. Il ne se couvre pas lui. Au contraire. Il devient la douleur primale. Celle de son proche. Et il descend, descend. Bien sûr, il finira par remonter. Mais il ne le sait pas encore. Et du fond de son trou, il voit les guerriers en armure aller et venir. Et il se sent petit, et seul. C'est ce moment, intime, minuscule, le temps de l'observation, de l'incompréhension, cet instant-là, qui crée de la rancoeur. Il ne sait pas que cette armure, celle que nous portons et qu'il déteste, va permettre au médecin/aide-soignant/ infirmier de sauver, plus tard, cette autre personne qu'il aime, que cette armure sera le point d'ancrage dont il aura besoin quand il se sentira devenir fou d'inquiétude pour son enfant, son ami, son...
Dans cette phrase s'inscrit la pensée selon laquelle il existe un équilibre nécessaire dans toute chose. Nous, médecins, mettons au monde, soignons, soulageons, guérissons, sauvons. C'est notre quotidien. Soigner, soulager, guérir, sauver. Mais si notre travail n'était QUE cela, même la personne la plus équilibrée du monde développerait un complexe de Dieu.
La vérité est que nous ne pouvons pas pleurer avec nos malades... Mais l'homme, il se souviendra juste de ce moment au fond de son trou, à observer sans comprendre. Parce que c'est plus facile d'en vouloir à des humains que d'en vouloir à la fatalité.
Simplement parce que la fatalité est indifférente au mal qu'elle fait. Alors que le médecin, lui, sous son armure, il peut souffrir, il peut saigner. Faire du mal à ces surhommes, qui ne vacillent pas quand toute sa vie se casse la gueule, parait être le seul moyen de se sentir moins petit, et moins seul. Le médecin fait le métier le plus beau et le plus laid du monde.
Il prend un ascenseur émotionnel une bonne centaine de fois par jour, il sauve. Mais il perd. Avec le temps, il est de plus en plus difficile d'enlever l'armure... Alors, un jour, certains médecins ne l'enlèvent plus. Pas volontairement, simplement pour gagner en temps, en efficacité. Parce qu'il faut toujours «sauver plus de monde». Mais l'homme en face de lui ne comprend pas. Il ne voit que la froideur et la dureté de l'armure. Le paradoxe de notre métier ? Être l'un des plus humains qui soit tout en nous obligeant de nous protéger de notre propre humanité pour pouvoir l'exercer.
Trouver le juste milieu... Quête sacrée...
N'ayons pas honte de montrer que nous sommes nus sous nos blues. Pour que ce moment d'incompréhension où la fracture se fait cesse d'être un espace de déchirure mais un simple lieu de réconciliation. Ce fossé entre nous est profond et ancien. Il croît. Le combler prendra du temps, ce sera un travail de tous les instants, de la part de la nouvelle génération de soignants et de soignés. Mais j'ai confiance: d'abord j'ai «grandi» avec eux. Ensuite je les connais très bien: je raconte leurs histoires. Un jour viendra où nous n'aurons plus besoin d'hôpitaux. On inventera une pilule panacée, un miracle qui guérit toutes les maladies et efface les douleurs. En attendant ce moment-là, dans très très longtemps, il y aura toujours des Hommes debout chargés de relever des Hommes couchés pour les garder au monde. Ce geste, ce bras tendu, c'est ce qui nous sépare de la barbarie et de l'anarchie, c'est ce qui fait l'humanité en l'homme et le rend plus beau que ses divinités. Tant qu'il y aura le SOIN nous serons des Hommes. VRAIMENT.